Affaire de l'ECAV – Comment créer une institution illégale (sous couvert d’excellence)
Vous pensiez connaître l’ECAV ? Voici sa préhistoire interdite 🤝 | Chapitre 2
Vous vous rappelez du Chapitre 1 ?
L’Ecole d’avocature (ECAV) ouvrait la scène avec cette grâce toute genevoise :
un examen bardé d’angles morts, calibré pour que même la lumière hésite à entrer…
une Grille de correction sacrée, dissimulée comme un vice de procédure
et une administration qui sert le silence avec la foi tranquille d’un ordre — pas religieux, non… mais institutionnel, donc infaillible par décret.
Ici, le miracle espéré est simple. Maintenir tout le monde dans le brouillard. Faire que personne ne comprenne jamais ce qu’on reproche à l’ECAV.
Sauf que ce brouillard n’a rien d’un accident atmosphérique.
Il a une histoire — une généalogie précise — cousue dans les plis du système bien avant les scandales, les pétitions et les réponses universitaires fantômes.
Une obsession existait déjà. Ne rien montrer, pour mieux décider à huis clos.
Ce que nous avons vu dans le Chapitre 1 n’était que la scène d’ouverture. Et comme toujours dans les tragédies, le vrai drame commence avant l’acte I.
Avant l’ECAV, il y avait déjà le protocole.
Avant l’examen, il y avait déjà la sélection.
Avant la sélection, il y avait déjà la peur.
La peur de trop former.
La peur de trop ouvrir les portes.
La peur — surtout — que d’autres arrivent mieux armés, plus nombreux, plus libres.
C’est cette peur qui a façonné le système. On la retrouve partout : dans les détours, dans les silences, dans les décisions qui n’en disent jamais assez.
Alors, pour comprendre l’ECAV, il faut remonter.
Démêler le fil avant qu’il ne devienne un tas de nœuds.
Reprendre le pli avant qu’il ne déforme tout ce qu’il touche.
Bienvenue au cœur de la fabrique du Far Genf.
Bienvenue dans le Chapitre 2.
⚠️ Chaque hyperlien ouvre une trappe 👀
Dessous ? Une pièce, un arrêt, un éclat de vérité administrative soigneusement rangé – mais qu’on refuse encore copieusement d’assumer…
Même les images ont été sommées de parler.
Elles se montrent.
Elles se citent.
Elles sont plus honnêtes que les institutions qui les ont produites.
Cliquez et la source apparaît.
Le coffret complet des documents du chapitre est ici 👈
Baladez-vous dans les archives.
Elles, au moins, ne mentent pas.
Chapitre 2 – Le pli initial était déjà faux
Bien avant d’arborer un sigle et une façade neuve, le mécanisme grinçait déjà.
Au début du siècle, ce n’est qu’une commission d’examen, une salle blanche, quelques tables alignées, des piles de copies, des Grilles1 qu’on garde sous clef. Les décisions tombent, sèches, impersonnelles. On réussit, on échoue.
La mécanique, elle, ne s’arrête jamais pour se demander ce qu’elle vient de faire.
Entre 2001 et 2005, pourtant, quelque chose se fissure.
Les candidats ne se contentent plus d’échouer, ils frappent à la porte des tribunaux. Les recours cessent d’être des accidents. Ils s’organisent en file.

En 2004, sept recours sont admis.
L’année suivante, dix-huit.
En douze mois, les échecs institutionnels explosent de 157 %.
Ce ne sont plus des susceptibilités blessées. Ce sont des chiffres apodictiques. Noir sur blanc dans les arrêts.
Le Tribunal administratif annule, reprend, épingle. Mais toujours après coup.
Le contentieux arrive trop tard. Le mal, lui, est déjà fait.
A partir de là, l’axiome se formule. Cynique, mais d’une efficacité redoutable. Si le système croule sous les recours, ce n’est pas qu’il dysfonctionne. C’est qu’il laisse passer trop de monde.
Un renversement total.
L’incompétence condamnée des avocats glisse du côté des candidats. Ceux qui subissaient l’opacité, les erreurs, les barèmes incohérents, sont rebaptisés perturbateurs du système.
Le chaos procédural dénoncé par la justice ? C’est désormais leur faute.
C’est la preuve qu’ils sont trop nombreux, trop insistants, trop mauvais…
…maintenant qu’ils gagnent devant les juges.
L’ultime solution se dessine.
Filtrer plus tôt. Trier plus sévèrement. Neutraliser les recours en éliminant en amont. De « manière précoce », nous dira-t-on. Moins de droits, donc moins de contestations. Et, retombée heureuse qu’on ne dit pas trop fort, on allège en même temps le trop-plein de stagiaires.
Très vite, cette logique trouve son bras armé.
Dès le début des années 2000, l’Ordre des avocats de Genève tire la sonnette d’alarme.
Dans ses messages d’ouverture, le clergé de l’Ordre promet un engagement « attentif et constant » pour défendre une profession qu’il dit exposée aux menaces conjuguées
d’« une surveillance étatique accrue »
d’« une concurrence féroce »
d’« une globalisation peu respectueuse des particularismes »
d’« une image dégradée ». [ndlr : L.O.L.]
Le danger, écrit-on, « vient aussi de l’intérieur ».
[ndlr : Promis ! Ce n’est pas une citation de Trump, mais de l’Ordre 👀]

Les années suivantes déclinent la même angoisse, sur tous les tons.
L’entrée en vigueur de la loi fédérale sur la profession d’avocat, la LLCA, est présentée comme une « véritable révolution dans le monde de l’avocature », dont on ne se « réjouit qu’avec modération ».
Signe qu’ici le mot « révolution » ne nomme plus une promesse, mais un dérèglement qu’il convient de tenir sous contrôle.
« Notre association doit tout mettre en œuvre pour préserver et promouvoir le label de qualité […] c’est une préoccupation constante du Conseil ».
Puis le discours se fait plus nerveux.

On convoque même « le spectre de la concurrence, l’appétit des grands cabinets étrangers qui pourraient l’avaler tout cru […], la crainte de la spécialisation […], la peur du chômage, la hantise d’avoir un jour à s’organiser en sociétés commerciales […], tout cela tétanise ».
L’Ordre affirme vouloir défendre « ses particularismes locaux, fruits de son histoire et de ses traditions ».
Il saisit « l’occasion de la Réforme de Bologne » pour étudier avec la Faculté de droit « les possibilités d’améliorer l’articulation entre la fin des études universitaires et le stage d’avocat ».
Noir sur blanc encore.

Même la presse libérale reprend le refrain.

Pendant ce temps, la libre circulation entre en vigueur, des cabinets étrangers s’installent, les profils se diversifient, les trajectoires se mélangent.
Le marché, répète-t-on, doit être « protégé ».
Non par la loi. Non par une régulation assumée. Par le filtre. Par un verrou d’accès au stage — informel, local, opaque et d’autant plus destructeur.
C’est ce mélange d’inquiétude professionnelle, d’avocats institutionnels désavoués par les juges, de peur sourde de l’autre mieux armé, qui scelle la « solution » genevoise. Une sélection préventive. Hors cadre, hors-la-loi, mais intronisée sans débat.
Le système vacille ?
On le contourne.
Trop de recours après l’échec ?
On élimine avant.
Le droit embarrasse ?
On le perd dans un labyrinthe sans sortie.
On refuse de clarifier la méthode. On lui substitue un filtre, un étage discret entre la Faculté et le barreau.
Ce n’est ni un concours, ni une formation continue, ni un cursus reconnu. Pour l’Ordre, en revanche, sa raison d’être ne souffre aucune hésitation. Le « modèle » doit permettre aux études et aux maîtres de stage de « compter sur des avocats-stagiaires déjà formés pour la pratique du barreau », « préalablement sélectionnés » et « d’emblée plus efficaces ».
En 2004, on s’engouffre dans la brèche de Bologne. L’Union européenne redessine l’enseignement « supérieur ». Fin des licences, des DEA, les vieilles hiérarchies de diplômes passent à la trappe. Place au duo bachelor–master, désormais tarifés en crédits ECTS.
On harmonise.
On standardise.
Les anciens parcours disparaissent dans la mise au propre.
L’excellence, elle, se dose à la louche.
Pendant ce temps, le Département fédéral de justice et police consulte les cantons.
Question cruciale.
Le stage d’avocat devra-t-il être conditionné au master ?
Ou s’en tenir au bachelor ?
À Genève, la réponse ne se fit pas attendre – ce serait le master.
Pour en faire une obligation, les institutions cessèrent de se faire face. Elles s’alignèrent.
Ordre des avocats.
Faculté de droit.
Exécutif.
Judiciaire.
Un seul front, sans texte fondateur, sans recours, sans contre-pouvoir.
À l’ombre du droit, on installa une commission ad hoc, non pour penser l’avenir de l’avocature, mais pour resserrer son entonnoir.
Un huis clos d’autorités. Officiellement pluraliste, en réalité monochrome.

Il ne s’agissait plus d’une question de cursus, mais d’un sas.
Pas d’une école, mais d’un seuil.
Et ce seuil fut baptisé « excellence » – un mot noble, pour une manœuvre étroite.
Un vernis méritocratique sur une logique corporatiste d’élimination.
À l’heure de la démocratisation des études, le droit s’est réservé une porte dérobée.
Pendant ce temps, à Berne, le droit fédéral s’affûte.
Entre 2005 et 2006, le Parlement boucle la révision dite « Bologne » de la LLCA, rattachée à l’article 95 de la Constitution helvétique. Son alinéa 2 impose à la Confédération un devoir. Créer un espace économique unique et garantir à toute personne titulaire d’un diplôme universitaire le droit d’exercer sa profession dans toute la Suisse.
De cette exigence naît la loi fédérale sur le marché intérieur, dont le but est clair :
Faciliter la mobilité professionnelle
harmoniser les conditions d’accès
et supprimer les restrictions cantonales.
Le Gouvernement fédéral l’a écrit, noir sur blanc. « La LMI vise ainsi à éliminer les restrictions à l’accès au marché mises en place par les cantons et les communes […] Le législateur a tendu, en supprimant les entraves cantonales et communales, à consacrer la primauté du marché intérieur sur le fédéralisme »2. [ndlr : fédéralisme signifie laisser le plus de pouvoir aux Cantons au lieu de la Confédération ; ici c’est donc censé être l’inverse…]
La direction est donnée. Et la majorité parlementaire suit.
Ce sera le bachelor, et lui seul, qui ouvrira la voie au stage d’avocat.
Conseil fédéral à l’appui3.
Mais on n’entend pas plier. Tandis que Zurich défend la libre circulation, Genève réclame sa propre clause d’exception.
L’argument ? Former des avocats « immédiatement opérationnels ».
La réalité ? Installer un filtre — plus tôt, plus opaque, plus décisif.
Dans l’arène du Conseil national, l’offensive s’organise.
Un attelage improbable se forme !
Maître Jacques PAGAN (UDC - droite de la droite), minoritaire, s’allie à Maître Carlo SOMMARUGA (PS), rapporteur de la majorité. Ensemble, ils défendent le modèle local. Master obligatoire, formation initiale préalable, examen anticipé — un triptyque propre à Genève, étranger au reste du pays.
L’union se fait sur un autre front. C’est comme si la droite dure disait que son collègue de gauche et lui-même ont toujours défendu cette position, car ils connaissent la réalité genevoise. Il est vrai que, dans cette affaire, son adversaire politique est devenu son allié corporatiste.
Les principes n’ont pas cédé. Ils ont simplement changé de client.
Mais le Conseil fédéral ne vacille pas. Le Ministre Christoph BLOCHER monte à la tribune. Et la mise en garde est claire.
« Le danger est grand que l’on fasse ici une législation corporatiste, que l’on protège cette profession et que l’on ne garantisse plus ensuite la libre circulation ».
Pas d’examen anticipé.
Pas de double filtre.
Pas de privilège cantonal.
C’est une exigence, pas une variable.
Alors le couperet tombe. Un après-midi de juin 2006, l’amendement PAGAN-SOMMARUGA est balayé. À une large majorité, la tentative genevoise est déclarée irrecevable. Le droit supérieur a parlé.
Le modèle de la bulle judiciaire genevoise est formellement exclu de la légalité fédérale.

Mais c’était sans compter l’hubris genfereïen. Capituler ? Jamais.
Entre 2008 et 2009, emporté par notre éternel Olivier JORNOT, le Grand Conseil examine un projet de loi (PL 10426) — le texte fondateur de l’ECAV, fruit exclusif de la commission ad hoc, composée d’avocats, tous pouvoirs confondus.
Les auditions défilent. Bâtonniers, avocats-professeurs, procureurs, étudiants (aujourd’hui devenus avocats).
Derrière les détours oratoires, une convergence. Il ne s’agit pas de former, mais de filtrer.
L’objectif est quantitatif, non pédagogique.

Réduire l’accès, resserrer la voie, protéger un marché perçu comme saturé.
L’illusion est propre. On vante l’expérience, on moque la théorie – « apprendre à nager dans la pataugeoire » ou être « jeté à la mer ». L’entrée en matière est votée à l’unanimité — sans heurts, sans résistance.
La loi, elle, entérine une formation onéreuse — plus d’un million par an — assortie, pour la forme, d’aides symboliques aux plus précaires.

La sélection s’installe. En régente.
Ainsi naît, sans vote populaire, sans débat public, une formation à la fois supplémentaire et obligatoire — fiction locale, injonction réelle. Une collision frontale avec le droit fédéral.
Car l’article 7, alinéa 3, de la LLCA est sans appel.
Le bachelor suffit pour accéder au stage.
Punktschluss.
L’ECAV, dès sa genèse, s’inscrit hors cadre.
Sans statut clair, sans fondement légal, sans lumière.
Ni formation continue. Ni cursus universitaire. Ni concours reconnu.
Mais elle trie. Elle élimine. Elle décide.
Et le fait comme si tout lui était dû — sans avoir jamais reçu d’onction constitutionnelle.
L’article 49 de la Constitution helvétique exige la primauté du droit fédéral. L’ECAV l’ignore.
Institution captive d’un genre inédit.
Invisible dans les textes, omnipotente dans les faits.
Voilà la clef de voûte.
⚠️ AVIS DE POURSUITE ⚠️
Ce qui précède n’est pas un dysfonctionnement. C’est un échafaudage.
A SUIVRE !
✒️ CHAPITRE 3 : « La machine commence à trier »
L’ECAV ouvre ses portes en 2011. 315 candidats pour 150 places. Un semestre plus tard, 32 éliminés.
Les premiers 11 % rayés sans bruit.
Le filtre n’est plus une hypothèse.
La machine tourne.
Puis viennent les PowerPoints — où l’on affiche, sans trembler, le « Saint Graal ».
Objectif : « opérer l’essentiel de la sélection en amont ».
Puis les pourcentages.
Puis une « étude de marché » à près de 90’000 francs pour prouver que le tri était… nécessaire.
Moins de 1 % d’échecs au brevet ? Evidemment. Le reste est englouti avant.
Les Saintes Grilles de correction interdites au regard de l’étudiant. On en parle dans le chapitre 1 : « La scène s’ouvre ». Et tu n’es pas près pour ce qui va venir 😬
Art. 95 al. 2 de la Constitution fédérale ; art. 1 & 3 al. 3 LMI ; ATF 134 II 329 consid. 5.2 & 5.4 ; Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur le marché intérieur (LMI) du 23 novembre 1994 (FF 1995 I 1193, 1195) ; Message concernant la révision de la LMI du 24 novembre 2004 (FF 2005 421, 422, 429-430, 437).
Message du Conseil fédéral concernant la modification de la LLCA du 26 octobre 2005 (FF 2005 6207, 6218)







J'ai l'espoir que l'IA puisse faire vaciller cette corporation et puisse démocratiser l'accès aux avocats et à la justice (même si d'une certaine façon cela a déjà commencé avec les protections juridiques).